Porte du Temple
Plan de Truchet et Hoyau, dit « plan de Bâle », vers 1550 (détail : la porte du Temple et son bastion)
La création de la place de la République remonte à la fin du XIXe siècle, mais son histoire s’enracine dans des faits bien antérieurs. Le démantèlement de l’enceinte de Charles V peut en effet être considéré comme le premier acte de création d’une future place.
Cette muraille entourait l’ensemble de la rive droite, entre la forteresse de la Bastille et l’actuelle rue de Richelieu, mais n’englobait pas l’emplacement de l’actuelle place de la République, qui se situait à l’extérieur de la ville fortifiée. Elle avait été renforcée par de puissants bastions en pointe, formant un angle aigu devant ses portes, et notamment devant la porte du Temple.
Ce vieux système de protection médiéval fut doublé, dans sa partie occidentale, par une nouvelle muraille, construite sous le règne de Louis XIII (l’enceinte des Fossés Jaunes). On commença alors à démanteler sa partie orientale, qui ne présentait plus aucune utilité. En 1673-75, Pierre Bullet (1639-1716) transforma l’ancienne fortification en promenade plantée, dont le tracé correspond aujourd’hui aux « Grands Boulevards » de la capitale. Les anciens bastions de l’enceinte devinrent autant de points de liaison entre la ville et ses faubourgs. En 1683, la destruction de la porte du Temple permit l’aménagement d’un grand rond-point planté, embryon de la future place de la République.
Dessinateur anonyme
Vue du château d’eau et du diorama de Daguerre, 1822, plume et lavis à l’encre de Chine, BNF, Estampes
La proximité des théâtres du boulevard du Temple renforçait l’attrait de ce grand carrefour, situé sur l’ancien bastion de la porte du Temple, dont les alentours avaient déjà suscité l’intérêt des spéculateurs immobiliers. En 1806, l’ingénieur Pierre Simon Girard, alors directeur des travaux du canal de l’Ourcq, choisit ce site pour implanter une fontaine, qui remplit la fonction de château d’eau et servit à l’alimentation des quartiers du Temple et du Marais.
Pierre Simon Girard (1765-1835)
La Fontaine aux lions de Nubie, 1806-1811, Paris, place de La-Fontaine-aux-lions
La fontaine de Girard, dite « aux lions de Nubie », présentait une double vasque en fonte d’où jaillissait l’eau du canal de l’Ourcq, avant d retomber en cascade dans trois bassins superposés. Quatre lions également en fonte, mais peints à l’imitation du bronze, groupés deux à deux, gardaient le massif central, couchés sur de hauts socles rectangulaires.
Gaspard Gobaut (1814-1882)
La Fontaine aux lions de Nubie ou Fontaine du château d’eau, 1850, dessin, BNF, Estampes
En 1822, Louis Daguerre (1787-1851) édifia, à quelques pas de la fontaine de Girard, le premier diorama parisien, dont il était l’inventeur avec Charles-Marie Bouton (1781-1853). Dans ce véritable théâtre d’illusions, les spectateurs pouvaient admirer de vastes compositions panoramiques en trompe-l’œil. Le diorama de Daguerre se situait à l’emplacement de la caserne du Prince-Eugène, sur la frange nord-ouest de l’actuelle place de la République.
En 1839, un incendie dévasta la salle de spectacle. Comme le signale la revue L’Artiste, « un autre Diorama [s'éleva, en 1843,] près des ruines de l’ancien ». C’est l’établissement que Gobaut décrit en 1850, à gauche de la fontaine de Girard. Ce diorama, plus modeste, inauguré par Charles-Marie Bouton, prolongea quelques années encore l’invention à succès de Daguerre, jusqu’à la construction, sur cet îlot, de la caserne du Prince-Eugène.
Le Tivoli-Vauxhall se dressait à proximité du diorama de Daguerre. Ce café-concert avait été créé en 1764, dans la rue de Bondy (actuelle rue René-Boulanger) et avait pris le nom de «Vauxhall d’été» en 1769, avant de disparaître lors du percement de la rue de Lancry. Réapparu en 1785, dans la rue Samson (actuelle rue Léon-Jouhaux), ce nouveau Vauxhall d’été comprenait une grande salle de bal et un café donnant sur un jardin. Devenu un médiocre bal public, il quitta les lieux après l’aménagement du boulevard Magenta.
Détail des lions de la fontaine imaginée par Girard
Le programme de développement urbain de l’Est parisien, lancé sous le Second Empire, métamorphosa la placette du Château d’eau. Réaménagée par le baron Haussmann en 1854, elle prit alors l’apparence d’une vaste place, ralliée par les boulevards de Magenta (1855), des Amandiers (1857, actuelle avenue de la République) et du Prince-Eugène (1861, actuel boulevard de Voltaire).
Les vasques et les lions de la fontaine de Girard, Paris, place de La-fontaine-aux-lions
Dès 1855, on envisagea la construction de la caserne du Prince-Eugène (actuelle caserne Vérines), ce qui établit le tracé définitif du boulevard du Prince-Eugène et la destruction d’une grande partie des théâtres du boulevard du Temple, constituant le fameux « boulevard du Crime ».
Jules Chéret
Magasins Réunis de la place du Château d’eau, 1866, lithographie en couleurs, BNF, Estampes
Dans le prolongement de la caserne du Prince-Eugène, plus à l’est, Gabriel Davioud, architecte de la Ville de Paris, bâtit, en 1866, les Magasins réunis, qui permirent de régulariser la place, désormais strictement rectangulaire. Les pavillons d’angle des Magasins Réunis rappelaient la caserne voisine, même si ce bâtiment commercial était percé de grandes ouvertures en rez-de-chaussée.
Détail d’un lion assis de la fontaine imaginée par Davioud, désormais place Félix-Éboué
A la chute du Second Empire, le chantier de la nouvelle place n’était pas encore achevé. En 1874, une nouvelle fontaine remplaça la fontaine de Girard. Placée dans l’axe de la rue du Temple, cette fontaine présentait quatre bassins superposés, sur lesquels huit lions en bronze se tenaient assis, crachant de l’eau.
La fontaine de Girard ne fut pas détruite, mais déplacée et remontée dans la cour d’entrée du marché-abattoir de La Villette, sur l’actuelle place de La-fontaine-aux-lions, où elle servit d’abreuvoir au bétail.
Vue aérienne de la place de la République, avec la caserne du Prince-Eugène (caserne Vérines) et les Magasins réunis
En 1879, l’administration préfectorale et le Conseil de Paris ayant décidé de consacrer, à Paris, une place à la République, mirent en concours un monument destiné à symboliser les nouvelles institutions du pays. Le programme du concours exigeait une République personnifiée sous les traits d’une femme, représentée debout et portant le bonnet phrygien. Le lauréat devait « idéaliser la figure tout en lui conservant l’ensemble des qualités réelles qu’elle exige, dignité, grandeur, douceur et fermeté, caractère noble et populaire tout à la fois, expression fière et pacifique en même temps ». Au cœur d’un quartier populaire en cours de développement, la place du Château d’eau fut désignée pour servir d’écrin à ce monument exaltant l’idéal républicain.
Le monument à la République (1879-1883)
Le concours de sculpture est remporté, en 1879, par les frères Léopold et Charles Morice. En 1880, la fontaine aux lions de Davioud fut retirée à son tour, et disposée au centre de la place Daumesnil, actuelle place Félix-Éboué. Un modèle en plâtre du monument à la République la remplaça, puis sa version définitive, installée et inaugurée le 14 juillet 1883. Un cartouche placé sous les pieds de La République rappelle l’événement. Il porte les armoiries de la ville et l’inscription : « À la gloire de la République Française – La ville de Paris – 1883 ». La place se nommait alors toujours « place du Château d’eau ». Lors du centenaire de la Révolution, en 1889, elle fut déclarée « place de la République ».
La statue en bronze de La République, par Léopold Morice
Le monument des frères Morice présente une figure monumentale en bronze représentant La République. Représentée sous la figure symbolique de Marianne, elle se tient debout sur un socle en pierre ceint d’une guirlande de bronze. La République porte le bonnet phrygien, symbole de liberté, ceint d’une couronne végétale ; présente un rameau d’olivier, symbole de paix ; et pose la main sur le haut d’une tablette portant l’inscription « Droits de l’homme ». Elle est armée d’une épée, fixée à une ceinture, portée en bandoulière.
Léopold Morice (1846-1919)
L’Allégorie de La Liberté, 1779-1883, pierre, Paris, place de la République, socle du monument à la République
Trois figures allégoriques sculptées en pierre sont disposées autour du piédestal : La Liberté, L’Égalité et La Fraternité. L’allégorie de La Liberté tient des fers brisés et brandit un flambeau. Sur le piédestal, entre deux figures allégoriques, des cartouches ornés de faisceaux de licteurs indiquent « Labor » (Travail) et « Pax » (Paix).
Léopold Morice
Le Serment du Jeu de paume, 20 juin 1789, 1879-1883, bas-relief en bronze, Paris, place de la République, socle du monument à la République
Douze bas-reliefs en bronze sont fixés sur le piédestal : ils illustrent les dates marquant l’histoire de la République française, depuis la prise de la Bastille, 14 juillet 1789, jusqu’à la première fête nationale, le 14 juillet 1880.
Léopold Morice
Allégorie de la Force, auprès d’une urne, symbolisant le suffrage universel, et de trophées militaires, 1879-1883, bronze, Paris, place de la République, socle du monument à la République
Un Lion, également en bronze, symbolisant Le Suffrage universel, est placé sur quelques marches, au pied de la statue principale.
De part et d’autre du monument principal, deux parterres de gazon, ceints d’une clôture en fonte, avaient été aménagés autour d’une fontaine aux dauphins. En 2013, le réaménagement de la place de la République en esplanade dallée entraîna l’enlèvement des fontaines aux dauphins.